Bioéthique
Aperçu des sections
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Leçon 3 - LES ENJEUX ET LES NOUVELLES INTERROGATIONS DE LA BIOETHIQUE
2020
19 mars
BIBLIOGRAPHIE
TERRE F. ,« l’enfant de l’esclave » : éd. Flammarion, 1987
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Ces enjeux résultent des avancées de la science qui suscitent aujourd’hui des interrogations nouvelles : (II) pour autant, si les questions sont nouvelles, le débat est déjà fort ancien (I).
Les progrès biomédicaux sont-ils une menace pour l’humanité à travers la possible auto- transformation de l’être humain ? Il surgit ici l’idée, depuis plusieurs années, de protéger l’homme des effets pervers de ces nouvelles conquêtes : « Ne pas faire tout ce qui est possible de faire ». Il s’agit de gérer au mieux les problèmes présents mais surtout de proposer des choix qui ne mettent pas en péril le futur de l’humanité.
I - Le poids du passé
Naître, mourir, parler à son médecin, se préoccuper du sort de la planète, tout ce qui touche de près ou de loin au vivant se rapporterait aux dires de certains nécessairement à « la bioéthique ».
Derrière cette effervescence pour la bioéthique, n’y a-t-il pas une certaine exagération de notre tempsà considérer comme neufs des problèmes pourtant anciens ?
Il est ainsi de la question du statut de l’embryon et sa classification dans la summa divisioque nous avons vu plus avant.
En effet, nous pouvons nous rappeler l’histoire de Chahpuhr IIqui occupait le trône de Perse depuis sa « conception in utero », comme le raconte Gibbon : « le lit royal où était allongée la reine enceinte fut disposé au centre du Palais. On plaça le diadème à l’endroit dont on avait lieu de supposer qu’il recelait le futur héritier d’Artaxerxès, et les satrapes prosternés adorèrent la majesté de leur souverain que l’on ne pouvait ni voir ni toucher»[1].
Dans le même esprit, nous pouvons relater que déjà au temps de Rome, le débat portait sur le statut juridique des enfants de la femme esclave.Discussion tirée de l’ouvrage de F. TERRE, « l’enfant de l’esclave » : éd. Flammarion, 1987.
Laquestion :à qui appartiennent les enfants de l’esclave ?La réponses’imposait lorsque l’esclave restait dans le cadre du domaine de son propriétaire : l’enfant appartenait au maître de la mère. Mère et enfant étaient solidaires de la servitude envers le maître.
Mais dans les faits, cela n’était pas toujours si simple : quidsi l’esclave étaitprêtée par son maître ? Quid si l’esclave était confié à autrui en dépôt ? A qui attribuer l’enfant ? Au prêteur ou à l’emprunteur ? Au déposant ou au dépositaire ? De même, quidsi la mère était l’objet d’un usufruit ? L’enfant devait-il revenir au nu-propriétaire ou à l’usufruitier ? Les enfants sont-ils des fruits ou issus de la substance de la chose ? Dans cette hypothèse, il était admis qu’il s’agissait de fruits : la naissance n’altère pas la substance de la chose, ici il s’agit de la mère ! D’ailleurs, la même solution était retenue pour les animaux : pourquoi retenir une solution différente pour les esclaves ?
Admise en des temps très anciens, cette solution fut rapidement abandonnée. Peu à peu, l’idée fut avancée que l’enfant de l’esclave ne pouvait pas être considéré comme un fruit, ou comme un animal. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient tout simplement des êtres humains.Cette réponse est doublement symbolique.
En premier lieu, elle montre que longtemps avant l’abolition de l’esclavage(1848)et l’émergence de la théorie des droits de l’homme (1789), il était admis que l’être humain le plus faible et le plus assujetti n’en est pas moins un être humain.
Sa création ne peut donc pas être assimilée à celle des végétaux ou de animaux. (Voir en ce sens summa divisioentre « choses » et « personnes » qui commencent à s’instaurer).
En second lieu, elle révèle que la reproduction humaine est dotée d’une irréductible originalité. Elle n’est pas une simple fabrication.
Le rappel de cette histoire ancienne, tirée de « l’enfant de l’esclave » de F. TERRE montre que le débat est, comme je vous le disais, ancien. Pour autant, les problèmes contemporains ont évolué sous l’influence des progrès scientifiques suscitant alors des interrogations nouvelles.
II – Le présent et ses nouvelles interrogations
Nous vivons dans un monde en perpétuelle évolution, dominé par le principe d’incertitude.La première est, en amont,sur ce qu’est l’être humain en tant qu’individu ou espèce. La seconde est, en aval,sur les effets des interventions rendues possibles par les progrès des sciences biomédicales. L’interrogation éthique amène essentiellement à se demander si de telles nouvelles prouesses médicales sont bonnes pour l’homme comme individu, bonnes pour la société…(v. O. de DINECHIN avec Y. de GENTIL-BAICHIS, L’homme de la bioéthique, éd. Desclée de Brouwver, 1999, p. 14).
Dès lors, nous devons nous détacher de l’importance excessiveque notre société a consacré à l’individualisme, à l’autonomie et aux droits de l’individupour nous recentrer sur la collectivité, l’avenir de l’être humain.Ce qui peut paraître, quelque peu, paradoxal avec les dernières révisions de loi de bioéthique qui prônent davantage les libertés individuelles.
Aujourd’hui, si la procréation(1)suscite toujours des interrogations, de nouvelles questions sont posées « à la bioéthique » avec les progrès de la génétique (2), le prélèvement et la transplantation d’organes… ou encore l’intelligence artificielle. En effet, une innovation scientifique crée des situations nouvelles et confère aux médecins, aux scientifiques des pouvoirs nouveaux. Nous limiterons nos propos aux thématiques de la procréation et de la génétique.
Dès lors, certains dénonceront ces nouvelles pratiques comme dangereuses tandis que d’autres mettront en exergue leurs avancées prometteuses pour l’avenir.
1- la procréation
Depuis 1978, (Louise BROWN, naissance du premier BB éprouvette en GB, en France naissance d’Amandine, premier BB éprouvette français en 1982 dont le double paternité scientifique et médicale reviennent à J. TESTARD – Biologiste et R. FRYDMAN – gynécologue, obstétricien) la procréationmédicalement assistéea fait de nombreux progrès : au coté des FIV (fécondation in vitro) intra couple, IAD (avec tiers donneur) ou ICSI (micro-injection intracytoplasmique : forçage de l’entrée du spermatozoïde dans l’ovocyte/ études faites sur le comportement de ces enfants). Ces évolutions constituent un formidable espoirpour les couples stériles.
Toutefois, elles ne sont pas sans poser des problèmes éthiqueset juridiques.
A - Encadrement légal de l’AMP depuis 1994
Les révisions de la loi dite de bioéthiqueont fait évolué les conditions d’accès à la procréation médicalement assistée sachant que l’AMP n’est actuellement ouverte qu’aux couples formés d’un homme et d’une femme vivants et en âge de procréer en vertu de l’article L. 2141-2 du CSP.
Afin d’apprécier cette évolution, vous devez revenir à la lecture de l’article L. 2141-2 du CSP sous ses différentes versions (Voir sur le site légifrance.fr, versions 2000, 2004, 2011, 2020).
Version 2000
Article L2141-2
L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d'un couple.
Elle a pour objet de remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué. Elle peut aussi avoir pour objet d'éviter la transmission à l'enfant d'une maladie d'une particulière gravité.
L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux anset consentants préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination.
Version 2004
L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d'un couple.
Elle a pour objet de remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité.
L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination. Font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons le décès d'un des membres du couple, le dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l'homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en oeuvre l'assistance médicale à la procréation.
Version 2011 - L'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité. Le caractère pathologique de l'infertilité doit être médicalement diagnostiqué.
L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination. Font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons le décès d'un des membres du couple, le dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l'homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en oeuvre l'assistance médicale à la procréation.
Version 2020 -
L'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité. Le caractère pathologique de l'infertilité doit être médicalement diagnostiqué.
L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination. Font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons le décès d'un des membres du couple, l'introduction d'une demandeen divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l'homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en oeuvre l'assistance médicale à la procréation.
Quelques observations autour de cette évolution législative
Dans le cadre des États généraux de la bioéthique de 2009, les membres du panel citoyen du forum de Rennes sur l’AMP avait jugé « essentiel que l’assistancemédicale à la procréation reste réservée aux cas d’infertilité médicale», en soulignant qu’elle « ne doit pas être considérée comme une solution à tous lesdésirs d’enfants ». Le Rapport final des Etats Généraux de la bioéthique va dans le même sens[2].
Le rapport en date, du 20 janvier 2010,de Monsieur Léonetti dans sa première proposition souhaite poser clairement les finalités de l’AMP afin d’écarter toute confusion : traitement médical palliatif à une infertilité naturelle.
L’avant-dernière révision de la loi bioéthique avait ainsi été l’occasion de débattre à nouveau dela question de l’élargissement des conditions d’accès à l’AMP[3]au-delà du critère médical. On s’était interrogé sur le fait de savoir s’il faut ou pas « donner droit» à de nouvelles revendications sociales émanant des couples de même sexe, de femmes seules ou encore de femmes ménopausées ? Autrement dit, si l’accès à l’AMP relevait de lasanté ou de la liberté.
Les débats avaient été âpres entre les deux assemblées. Les sénateurs,en première lecture, s’étaient montrés plutôtbienveillants à l’égard des couples de même sexe, plus précisément des femmes homosexuelles, en proposant l'ouverture de l'AMP à « toutes les personnes formant (un) couple», sans distinction des sexes[4], là où les députés, en première lecture, voulaient maintenir l'accès à l’AMP aux cas d'infertilité « médicalement diagnostiquée » ou de risque de « transmission d’une maladie d’une particulière gravité » au sein de couples hétérosexuels en âge de procréer. La condition de l’altérité des sexes avait été réintroduite en deuxième lecture par le Palais Bourbon. La médecine devait soigner avant tout des pathologies et non répondre à des insatisfactions sociales.
Fort de cette revendication, le rapporteur de la Mission parlementaire sur les révisions des lois, Monsieur Jean Léonetti, avait pris soin de rappeler que «(l)'accès médical à la procréation doit être examiné sous un angle médical, pas un angle sociétal. La médecine doit répondre à une pathologie, pas à une insatisfaction ou un désir»[5]. L’objectif était d’écarter le couple de même sexe sous prétexte d’une stérilité sociale et non médicale. L’intérêt de l’enfant serait de naître au sein d’un foyer biparental composé d’une mère et d’un père conformément au modèle pluriséculaire de la famille plénière.
Aussi, l’article L. 2141-2, alinéa 1, tel qu’il résulte de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011[6]confirme-t-il que « le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué », écartant définitivement l’infertilité sociale.
Dans un souci de clarté, les deux premiers alinéas ont été refonduspour n’en faire plus qu’un ainsi libellé : « l'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité. Le caractère pathologique de l'infertilité doit être médicalement diagnostiqué ».
La suppression de l’expression « demande parentale » insérée dans l’alinéa 1 de l’ancien article participe également de l’idée d’affecter le seul critère médical à la demande d’accès à l’AMP et d’écarter toute revendication hors du couple hétérosexuel. La référence à « la demande parentale » était, en effet, empreinte d’ambigüité en ce sens qu’elle pouvait sous-entendre « un droit à l’enfant » invocable par tous.
L’on peut toutefoissouligner l’abandon de la référence à la preuve du délai de deux ans de vie communepour les concubins et les couples pacsés, signe d’un élargissement modéré des conditions d’accès. Cette condition de durée n’avait de sens que d’un point de vue médical, correspondant dans la pratique au temps nécessaire pour poser un diagnostic fiable de stérilité. C’est pourquoi la distinction entre couples mariés et non mariés n’avait plus lieu d’être. Cette altérité a été gommée du texte. Seule la notion de « couple » avait été retenue, assurant une égalité textuelle des droits entre les couples hétérosexuels dans ledroit fil de la loi de bioéthique de 2004, fraîchement révisée. Ni l’un, ni l’autre ne semblait, en effet, être garant de stabilité.
Lors de la révision en cours de la loi de 2011la question de l’élargissement des conditions de l’accès à l’AMP notamment aux couples de femmes et femmes seules est revenue sur le devant de la scène.
Le Comité consultatif national d'éthique(CCNE) a rendu en 2018, aux deux tiers de ses membres, un avis favorable à l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires (CCNE, avis 129).
Jusqu’alors le droit a fait le choix d’imiter la nature en matière de procréation artificielle. L’assistance médicale à la procréation (AMP) a, en effet, été calquée sur le modèle de la filiation biologique. Le législateur l’a ainsi réservée à des couples composés d’un homme et d’une femme vivants, en âge de procréer (CSP, art. L. 2141-2). Il était alors question de trouver une réponse médicale à un problème d’infertilité à caractère pathologique et de donner à l’enfant à naître, un environnement conforme au modèle pluriséculaire de la famille plénière.
Toutefois, ce modèle a profondément évolué ces dernières décenniesvoire même bousculé depuis la récente reconnaissance légale du couple de même sexe par le mariage (L. 2013). A cela s’est ajouté, l’accès à la parentalité via l’adoption de l’enfant du conjoint (C. civ., art. 6-1 et 345-1,1°). La brèche était ouverte et se profilait, plus que jamais, la question de l’ouverture de l’AMP aux femmes sans partenaire masculin. Ses partisans dénonçaient la discrimination dont sont victimes les couples de femmes et les femmes célibataires par rapport aux couples hétérosexuels face à l’accès aux progrès de la science et de la médecine (en ce sens, v. l’avis « Contribution au débat sur l’accès à la PMA » du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes du 27 juin 2015 - v. également, avis n°15-18 du Défenseur des droits, 3 juillet 2015)
C’est dans ce contexte qu’une réflexion éthique devait être engagée afin de savoir jusqu’où les revendications sociétales en faveur de la liberté de la procréation humaine peuvent-elles être entendue par notre Société ?Peut-on solliciter la médecine pour pallier une incapacité à concevoir un enfant dans des relations assumées de même sexe ? La tâche était laborieuse.
Malgré les « points de butés »mis en exergue, les deux tiers des membres du CCNE ont estimé que la souffrance des femmes devait être entendue. Leur analyse témoigne ainsi d’une certaine prudence dans les arguments avancés, qui se traduit pourtant par une conclusion plus téméraire.
L’argumentaire est fondé, tout d’abord, sur la liberté de procréer et l’égalité de toutes les femmes dans l’accès aux techniques médicales afin d’assouvir leur désir d’enfant. Dans un souci de prudence face à une revendication non équivoque à venir d’un « droit à l’enfant », les sages soulignent que toutes les demandes n’auront pas vocation à être satisfaites (p. 27). La problématique del’absence d’ascendance paternelle dans le développement de l’identité de l’enfant est d’ailleurs envisagée par l’avis (p. 22, 26). Soulignons que l’image du père n’est pas seulement absente, elle est gommée par ce nouvel artifice.
Ses propos sont, toutefois, nuancés par l’ajout suivant que « l’on peut faire confiance au projet des femmes qui souhaitent accéder à la maternité (…). Concevoir un enfant dans un contexte homoparental, par exemple, est un projet longuement réfléchi, concerté » (p. 27).
Puis, dans le même esprit de bienveillance à l’égard des femmes, est mis en valeur le fait que la technique, elle-même de l’IAD, n’est pas en soi « violente » dans la mesure où elle est maîtrisée et a été éprouvée depuis des décennies au bénéfice des couples hétérosexuels.
Enfin, le CCNE porte un regard visionnaire sur notre Société en prévenant que « des changements majeurs s’annoncent, notamment dans la façon de concevoir un enfant et de devenir parents » (inrésumé de l’avis n°26). Cette démarche prometteuse aurait pu aboutir à une réflexion sur le devenir de ces enfants, sauf que l’on reste, en l’espèce, au stade du constat. Aucune discussion aboutie n’est, en effet, initiée au regard du bien-être, de l’intérêt de l’enfant ainsi conçu. L’absence d’études sérieuses et fiables semble clore le débat en dépit de la révolution anthropologique que cela impliquera.
L’avis se contente de souligner que ces nouvelles familles homoparentales ou monoparentales existent déjà sans préciser pour autant que ces foyers se sont construits en marge de tout contexte médical. Dans le droit fil de ces propos, l’avis s’approprie la parole rassurante du pédopsychiatre, François Assermet, co-rapporteur de l’avis, pour lesquel « les enfants ont (…)« une capacité à s’inventer des filiations et à s’emparer de leur histoire ».
La bienveillance manifestée par le CCNE à l’égard des femmes célibataires et des couples de femmes dans leur quête d’enfants n’est pas pour autant exempte de difficultés.
L’absence de consensus et les positions divergentes adoptées par certains membres en attestent d’ailleurs. Trois « points de butée » sont ainsi relevés par l’avis : le risque d’institutionnalisation de l’absence voire de l’effacement du père, l’écueil de la pénurie actuelle de gamètes et le coût économique d’une telle démarche. Faut-il rémunérer le don de gamètes pour stimuler les donneurs et abandonner la gratuité du geste ? Quiddu danger de la marchandisation des gamètes (p. 24) ? Notre Société a-t-elle les moyens de supporter une nouvelle charge financière vial’Assurance maladie en remboursant un acte non médicalement justifié ?
Fort de ces propos, le Comité suggère néanmoins d’étudier et de définir « des conditions d’accès et de faisabilité » de la PMA ainsi élargie en distinguant les couples de femmes des femmes seules et en préservant si possible le principe de gratuité des dons (p. 27).
Face aux incertitudes qui règnent, exprimées dans l’absence de consensus au sein du Comité dont certains membres défendent le statu quo quant à l’accès élargi à la PMA « pour toutes », nul doute qu’un temps de réflexion supplémentaire est nécessaire avant toute intervention législative. D’ailleurs, le Comité en appelle aux conférences citoyennes. Le cas échéant, le CCNE risquerait de perdre son statut consultatif et éthique.
Au final, l’actuel projet de loi du 4 février 2020retient l’ouverture de l’AMP aux femmes en couple et toute femme seule.
Elle a été votée devant l’Assemblée nationalesans difficultés après toutefois de longues et âpres discussions.
Devant le Sénat,le texte a été également retenu a une très courte majorité sachant que les sénateurs ont réservé le remboursement aux seuls couples infertiles en excluant de fait les couples de femmes. C’était le mardi 4 février 2020 à dix voix près (153 pour, 143 contre, 45 abstentions).
Projet de loi dite de bioéthique, 4 février 2020, Art. L. 2141‑2.
« Art. L. 2141‑2‑1. – Tout couple formé de deux femmes ou toute femme non mariée répondant aux conditions prévues au II de l’article L. 2141‑2 a accès à l’assistance médicale à la procréation selon les modalités prévues au présent chapitre. »
B - Cas éthiques
1- autour de l’âge de procréer
Tel est le cas dans l’affaire dite de la « femme de Draguignan ». Il s’agit d’une femme ménopausée de 62 ans qui a donné la vie à un enfant issu d'une fécondation in vitro. Cette situation a attiré l'attention de la justice française et une mesure d'assistance éducative avait été ordonnée en raison du caractère illicite de cette pratique.
Notons toutefois qu’aucune poursuite pénalen'a été engagée : malgré le caractère visiblement illégal de la fécondation in vitro, car cette dernière avait été pratiquée hors de Franceet, à ce titre, échappait aux dispositions pénales relatives à l'assistance médicale à la procréation du Code de la Santé Publique. Les poursuites sont rares dans la mesure où au moins un élément constitutif de l’infraction pénaledoit s’être déroulé sur le territoirede la République français conformément à l’article 113-2, alinéa 2 du Code pénal :
L'infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ».
Mais l'affaire ne devait pas s'en arrêter là : d'autres éléments sont venus se greffer.
Il s'est avéré, en effet, que la fécondation in vitroa été pratiquée aux Etats-Unis avec le sperme du frère de la parturiente et l'ovocyte d'une donneuse. Par ailleurs, cette dernière, en qualité de mère porteuse, a également donné naissance, à Los Angeles, à un enfant dont le père est…le frère ci-dessus cité.
Application pratique autour de la question d’ordre éthique : une femme ménopausée ou un homme « andropausé » devrait-elle avoir accès à la procréation médicalement assistée ?
Deux considérations sont, avant toute chose, à prendre en compte, afin de pouvoir poursuivre la réflexion : médicale, d'une part, et juridique, d'autre part.
D'un point de vue médical, l’opération est parfaitement envisageable : en pratiquant une fécondation in vitroavec l'ovocyte d'une donneuse, on contourne l'impossibilité naturelle qu'est la cessation de l'activité ovarienne. L'embryon ainsi conçu est implanté dans l'utérus de la femme, à laquelle un fort apport d'hormones est indispensable pour mener une telle grossesse à terme. Ce qui n’est pas sans risque médical pour la femme (hypertension, hémiplégie…) et pour l'enfant (risques de handicap) (V. aussi Mme Sophie Marinopoulos, psychanalyste, « notre maîtrise scientifique est telle que l’on sait maintenant « faire » des enfants hors corps, hors sexe, hors vie».).
D'un point de vue juridique, une femme ménopauséene peut,à l’heure actuelle, en France, bénéficier d'une assistance médicale à la procréation. Telle est la règle posée par l'article L.2141-2, alinéas 2 et 3, du Code de la Santé Publique, issu de la loi dite " de bioéthique " n°94-654 du 29 juillet 1994 et reprise et modifiée à l’occasion des révisions (Voir à propos des conditions d’accès à l’AMP, l’évolution législative, plus loin).
"[L'assistance médicale à la procréation] a pour objet de remédier à l'infertilitédont le caractère pathologiquea été médicalement diagnostiqué. (…)
L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination. (version applicable aux moments des faits de l’affaire de Draguignan) "Quels sont les arguments susceptibles d’être soulevés ?
Arguments en faveurde l’interdiction :
L'infertilité induite par la ménopausen'a pas, en soi, un caractère pathologique, sauf cas particuliers, tels la ménopause précoce ou cessation de l'activité ovarienne provoquée par des traitements (chimiothérapie pour le cancer, par exemple).
Est d’ailleurs rappelé par la directrice de l’Agence de biomédecine de l’époque, Mme Prada-Bordenave, que « l’AMP n’est pas un soin de confort, c’est la réparation de la défaillanced’une des fonctions essentielles de l’espèce humaine, la reproduction, dont des personnes se sont trouvées privées par la maladie ». Ce qui explique pourquoi les frais engagés sont pris en charge par l’Assurance Maladie (Comp. Avec les Etats-Unis : 15 000 à 20 000 euros la tentative).
Intérêt de l’enfant à naître. Il existe dans nos sociétés un refusà l’encontre des maternités tardives : les parents doivent pouvoir assurer l'éducation d'un enfant. En décider autrement, conduirait à ne pas respecter une sorte de chronologie familiale.
Arguments contrel’interdiction :
puisque la science rend désormais possible la procréation en-dehors des conditions et délais " naturels ", la femme détiendrait désormais le libre choixdu moment où elle désire un enfant (autonomie de la volonté, liberté individuelle).
Mais, ce qui est techniquement possible devient-il, par la même, humainement acceptable ou tout simplement raisonnable?
Nous pourrions également reprendre la formule de S. Freudpour approfondir notre réflexion « Ce serait théoriquement l’un des plus grands triomphes de l’humanité, l’une des libérations les plus tangibles à l’égard de la contrainte naturelle à laquelle est soumise notre espèce, si l’on pouvait élever l’acte de la procréationau rang d’une action volontaire et intentionnelle. » (« La sexualité dans l’étiologie des névroses », Sigmund Freud, « Résultats, idées, problèmes », inNaissance et liberté, Monique Canto-Sperber et René Frydman (2009), Plon).
Cette question se pose désormais à l’encontre des hommes « d’âge mûr ». Qu’en est-il ?
Faut-il fixer une limite d’âge masculine pour engendrer et concevoir artificiellement un enfant ?
Position de l’avis, Conseil d’orientation, 8 juin 2017 (extrait d’un de mes articles dans la Revue Droit&Santé n°80)
Selon une croyance populaire, l’horloge biologique ne concernerait que les femmes à l’approche de la ménopause, les hommes en seraient affranchis. Ainsi la juxtaposition des termes « mère ménopausée » est appréhendée comme un oxymore alors que l’andropause chez un père ne heurte pas davantage. En témoigne le taux croissant des naissances issus de pères quinquagénaires depuis 1980.
Est-ce à dire que l’on pourrait être père à n’importe quel l’âge grâce aux progrès scientifiques qui ne cessent d’en repousser les frontières ? Est-ce souhaitable ?
Rappelons que la question des limites d’âge pour enfanter en France s’inscrit dans le cadre d’une pensée naturaliste du modèle de parenté. La procréation artificielle se doit d’imiter au plus près la nature. Le législateur se calque ainsi sur le modèle de la reproduction biologique.
Toutefois, la loi n’a pas pris soin de définir précisément la condition « d’être en âge de procréer » posée à l’article L. 2141-2 du CSP. Cette condition a-t-elle une limite ?
Dans la pratique, c’est au médecin qu’il revient d’apprécier si les membres du couple sont en mesure de concevoir et d’engendrer un enfant dans un contexte d’infertilité médicale (CSP, art. L. 2141-2).
A une telle appréciation, s’ajoute le fait que l’Assurance maladie fixe, elle-même, une limite d’âge en ne remboursant plus, depuis 2005, le parcours AMP au-delà des 42 ans révolus de la femme pour des raisons médicales. Les chances de succès sont, en effet, réduites et les risques de complications médicales, accrus. Quant aux hommes, une limite d’âge est aussi posée de facto. La plupart des centres de biologie de reproduction ne vont pas au-delà de l’âge à 59 ans pour utiliser des gamètes ayant été conservés (v . avis ABM, Conseil d’orientation, 2012).
Néanmoins, le terme choisi n’est pas en adéquation avec les preuves empiriques qui démontrent que la qualité du sperme diminue avec l’âge. Les enfants nés de pères âgés de plus de 50 ans sont, en effet, plus sensibles à certaines pathologies (autisme, schizophrénie, progéria, maladie de Marfan, cancer de la prostate). La vieillesse joue sur la spermatogénèse.
C’est à ce stade de la réflexion que l’intérêt de l’enfant ressurgit en sa qualité de « tiers acteur de la PMA » comme le soulignent les membres du Conseil d’orientation. Le choix de poser ou non une limite d’âge doit être opéré à la lumière des risques pour la santé de l’enfant d’être né d’un géniteur tardif.
Adopter un tel raisonnement n’est malgré tout, pas aussi évident, comme en témoignent les deux jugements, du 14 février 2017, rendu par le tribunal administratif de Montreuil. Les juges ont ainsi considéré que l'Agence de la biomédecine (ABM) ne pouvait pas refuser d'autoriser une demande d'exportation de gamètes vers l'étranger au seul motif qu’au vu de son âge avancé, l'homme aurait dépassé celui de procréer (V. aussi, notre Revue, n°79, L’âge paternel peut-il être un obstacle à l’accès à l’assistance médicale à la procréation ?)
C’est dans ce contexte médical, social et juridique flou qu’en juillet 2017, les membres du conseil d’orientation de l’ABM, instance indépendante, ont rendu un avis favorable à l’instauration d’une limite d’âge pour accéder à l’AMP. Selon eux, la nécessité de préciser la notion d’âge pour procréer s’impose non seulementau regard « des risques médicaux majorés par des grossesses tardives » (…) mais aussi au regard de « l’intérêt de l’enfant à ne pas avoir des parents trop âgés ».
Conscients que leur position ne manquera pas de susciter un certain émoi au sein des partisans de la liberté de procréer au sein des couples et de l’autonomie des parents dans le processus décisionnel, le Conseil n’hésite pas à s’appuyer sur les propos de la philosophe, Madame Sylviane Agacinski, pour étayer leur argumentaire. Selon cette dernière, « la décision de procréer, de faire naître artificiellement ou d’adopter un enfant, n’est pas de celles qui concernent uniquement ma liberté subjective, mon autonomie, voire mon intimité, mais à l’inverse, de celles qui m’obligent à me demander ce que je dois à l’autre. Du moins si la question éthique est posée, et si l’enfant n’est pas considéré comme un simple objet de désir » (Avis, p. 4).
Dès lors, l’avis tente deconcilier des intérêts qui peuvent sembler contradictoiresquand bien même « les lois de bioéthique ont toujours précisé que l’AMP « ne renvoie pas seulement à la demande des adultes » mais aussi à l’intérêt des enfants », comme le rappellent les auteurs (avis, p. 6).
Aussi, dans ce même esprit de la loi, concluent-ils que « (d)ans un souci, de bienfaisance (ne pas entraîner de risques pour les différents acteurs impliqués ou à venir), d’équilibre mesuré entre l’autonomie de l’individu, l’intérêt de l’enfant à venir et la responsabilité de l’équipe médicale, d’équité (même accès aux soins pour tous), il a paru pertinent au conseil d’orientation de préciser la notion d’âge pour procréer avec l’aide de l’assistance médicale à la procréation. Il ne s’agit pas de mettre une norme abstraite supplémentaire mais bien de faciliter pour les équipes médicales la prise en charge des couples inféconds en clinique quotidienne et d’apporter des informations aux décideurs et politiques chargés de la santé publique».
Au-delà de la problématique susvisés, l’avis nous interroge dans l’absolu sur l’absence de limite dans une société « où l’individu dans sa toute-puissance utiliserait les dernières technologies » ? Une société peut-elle se construire sans limite ?
Voir aussi, Jérémy RAYNAL, Assistance médicale à la procréation : exclusion des hommes n’étant pas en âge de procréer d’en bénéficier et interdiction de l’exportation de gamètes, CE, 17 avril 2019 : n° 420468 inRDS, n°90, 2019, p. 584-586.
Perspective à venir sur la question
Projet de loi dite de bioéthique, 4 février 2020, Art. L. 2141‑2.
Nouvelle rédaction proposée « L’accès à l’assistance médicale à la procréation est possible selon des conditions d’âge encadrées par une recommandation de bonnes pratiques fixée par arrêté du ministre en charge de la santé après avis de l’Agence de la biomédecine. Elles prennent en compte les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ainsi que l’intérêt de l’enfant à naître. »
Des bornes d’âge seront donc posées par décret.
2 - Autour de la procréation post mortem
A suivre…
[1]J. J. Norwich, Histoire de Byzance, éd. Tempus, p. 42
[2]Rapport final des États généraux de la bioéthique », M. Alain Graf, rapporteur général (juillet 2009).
[3]Voir Sénat, Etude de législations comparées n° 193, janv. 2009, V. aussi CE, La révision des lois bioéthiques inLes Études du Conseil d'État : Doc. fr.,
[4]A noter que seules les couples de femmes vial’insémination artificielle avec tiers donneur sont concernés par le texte dans la mesure où les couples d’hommes devraient recourir à la pratique illégale de la gestation pour autrui.
[5]V. aussi, les conclusions des États généraux de la bioéthique qui énoncent : « Que le désir d’enfant soit de fait, et de toute évidence, la raison fondamentale de recourir à l’assistance médicale à la procréation, n’implique pas de désigner la satisfaction de ce désir comme la finalité justifiant la mise en œuvre de cette pratique. S’il est admis que l’AMP a pour objectif de "remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité" alors que ce n’est pas la satisfaction d’un désir d’enfant qui justifie l’usage de ces techniques. La satisfaction de ce désir est ici une conséquence possible de l’AMP, et non pas sa finalité»
[6]Loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique : JORF n°0157 du 8 juillet 2011, p.11826